Kurt Gerstein (1905-1945), officier SS affecté à l'Institut d'hygiène de la Waffen SS, fut chargé d'aider à la mise en oeuvre de la "Solution finale".

Gerstein était le sixième d'une famille luthérienne aisée de sept enfants de Münster, en Westphalie. Le père de Gerstein, un juge autoritaire et ardent nationaliste allemand, insuffla à ses enfants un patriotisme inébranlable. La mère de Gerstein, fatiguée par ses grossesses et par l'éducation de ses enfants, mourut alors qu'il était encore jeune. Aucun des parents de Gerstein n'avait suffisamment de temps ni d'énergie à lui consacrer ; c'est pourquoi c'est une servante catholique dévouée, que nous connaissons seulement sous le nom de Regina, qui s'occupa de lui lorsqu'il était enfant.

Bien qu'étant un enfant extrêmement brillant, Gerstein fut loin d'être un élève modèle, faisant l'école buissonnière et négligeant son travail scolaire. En dépit de résultats scolaires médiocres, il obtint facilement son Abitur en 1925 et étudia les techniques d'exploitation minière. Il obtint son diplôme de l'université de Marburg en 1931.

Au début, Gerstein considérait qu'il était de son devoir de patriote de soutenir les nazis, il pensait également que son adhésion au parti national-socialiste réduirait la pression de son père et de ses frères qui avaient tous rejoint le parti au début 1933. Gerstein adhéra donc au parti le 1er mai 1933, soit cinq mois après la nomination d'Hitler au poste de chancelier.

Peut-être en raison d'une vie familiale peu satisfaisante, du manque d'intérêt de ses parents pour la religion ou pour lui, ou de la dévotion religieuse de la servante qui avait été sa première compagnie dans son enfance, Gerstein était devenu, pendant son adolescence, un membre actif de l'Eglise confessante. Il était partisan d'une éducation chrétienne pour les jeunes gens. Dévoué de façon obsessionnelle à ce mouvement, il y consacra la totalité de son temps libre et une partie de ses ressources personnelles. C'est en raison de son implication au sein de l'Eglise qu'il entra en conflit avec le régime nazi. Lorsque les prêches de l'Eglise confessante entrèrent en contradiction avec l'idéologie nazie, l'Etat allemand s'ingéra progressivement dans l'Eglise et dans ses organisations. Gerstein dut choisir entre la défense de son Eglise et le soutien à son pays. Pendant un certain temps, au moins, il choisit son Eglise.

A la fin de janvier 1935, Gerstein défendit ouvertement sa foi lors d'une représentation à Hagen d'une pièce (Wittekind) approuvée par le régime. La pièce s'élevait contre Dieu et Gerstein s'en prit au texte de la pièce. Des membres de la SA le rouèrent de coups à l'arrière du théâtre. Apparemment peu impressionné, Gerstein fut arrêté un peu plus d'un an plus tard parce qu'il se préparait à envoyer plusieurs milliers de tracts anti-nazis en faveur de la préservation de l'autonomie de l'Eglise. Cette fois-ci, Gerstein fut traité plus sévèrement : il fut brièvement emprisonné et exclu du parti nazi.

Dans l'impossibilité de trouver un travail après sa sortie de prison, Gerstein retourna à l'université pour étudier la médecine. Entre 1936 et 1938, il vécut à Tübingen avec sa femme, Elfriede Gerstein (née Bensch), épousée le 31 août 1937. Il continua à prendre position contre les nazis. En juillet 1938, il fut arrêté et accusé de haute trahison. Pendant l'instruction, Gerstein fut détenu à la prison de Welzheim. Il fut libéré six semaines plus tard.

Avec l'aide de son père et de plusieurs membres influents du parti nazi et de la SS, Gerstein fut réintégré dans le parti en tant que membre provisoire le 10 juin 1939. Cela lui permit non seulement de prendre un nouveau départ dans le parti, mais aussi d'obtenir un nouveau poste dans l'industrie minière.

A la mi-février 1941, Gerstein découvrit que sa belle-soeur, Berta Ebeling, était morte dans un hôpital psychiatrique de Hadamar, en Allemagne. Il avait eu vent des rumeurs indiquant que le gouvernement allemand avait lancé un Programme d'euthanasie qui impliquait le meurtre systématique des handicapés placés dans les institutions. Dans ce contexte, la mort de sa belle-soeur lui sembla suspecte. Selon un ami de Gerstein, la mort d'Ebeling s'ajouta à toute une série de facteurs qui éveillèrent la curiosité de Gerstein et renforcèrent ses inquiétudes sur ce qui se passait en Allemagne. Il décida que le meilleur moyen de savoir ce qui se passait était de rejoindre les SS, ce qui le blanchirait par la même occasion de tout soupçon, étant donné son opposition passée au régime nazi.

Selon ses biographes, qui lui sont incontestablement favorables, Gerstein demanda à intégrer les SS et y fut accepté en mars 1941 malgré son passé douteux. La chronologie des événements de la première moitié de l'année 1941 reste controversée. S'il est tout à fait possible que sa belle-soeur ait été victime du Programme d'euthanasie, il n'est pas prouvé qu'elle soit morte avant que Gerstein ne demande à rejoindre les SS.

Après une formation de deux mois dans un bataillon sanitaire, Gerstein fut affecté, le 1er juin 1941, à l'Institut d'hygiène de la Waffen SS à Berlin. Cet organisme était subordonné au Bureau principal des Opérations SS. A l'Institut d'hygiène, il se distingua par une connaissance parfaite de l'ingénierie et des installations sanitaires. Sa contribution la plus importante fut la mise au point de techniques de contrôle des animaux nuisibles et de préservation de la qualité de l'eau potable pour les troupes de combat. Le 1er novembre 1941, il fut nommé sous-lieutenant SS spécialiste au sein de la Waffen SS. Le 20 avril 1943, il fut promu au grade de lieutenant SS dans le même groupe.

En raison de son poste à l'Institut d'hygiène et de son expertise dans le domaine des techniques de décontamination, Gerstein fut chargé d'aider à la mise en place de la "Solution finale". Il fut responsable de la livraison de grandes quantités de Zyklon B à Auschwitz et dans d'autres camps. Il fut aussi invité à inspecter le camp de mise à mort de l'Action Reinhard à Belzec, dans lequel le personnel SS utilisait du monoxyde de carbone pour assassiner les prisonniers dans les chambres à gaz. A cette occasion, en août 1942, il assista à l'extermination en masse de Juifs à Belzec.

Dans sa confession faite après guerre, Gerstein nota, dans les moindres détails, tout ce qu'il avait vu à Belzec. Il décrivit les trains remplis de Juifs qui rentraient dans le camp, la saisie de leurs biens puis la tonte de leurs cheveux. Il raconta comment on les faisait se déshabiller et s'entasser dans une chambre à gaz (construite de façon à ressembler à des douches) au point qu'ils ne tombaient pas lorsqu'ils suffoquaient. Gerstein ne tira aucune satisfaction de ces opérations. Il déclara plus tard à des amis que cette expérience le détermina à informer le monde des horreurs qui se déroulaient dans les camps de mise à mort. Pendant la guerre, il dit également à des amis qu'il empêcha au moins une fois une livraison de gaz Zyklon B et qu'il jeta le produit.

Gerstein espérait que ses contacts feraient savoir ce dont il avait été témoin ; parmi eux se trouvaient le Baron von Otter qui était un diplomate suédois, le père Cesare Orsenigo qui était le nonce apostolique à Berlin, de nombreux membres de l'Eglise confessante et de l'Eglise luthérienne ainsi que des opposants au régime nazi. Gerstein leur disait qu'il rêvait que les Alliés parachutent des tracts dans toute l'Allemagne pour informer les gens de ce qui se passait réellement, et les pousser ainsi à exiger la fin des massacres. En dépit de ses efforts, ces espoirs ne se réalisèrent jamais.

En avril 1945, la fin du Troisième Reich était imminente. Gerstein se livra aux autorités françaises dans la ville de Reutlingen. Dans sa déclaration, il expliqua qu'il s'était constitué prisonnier pour pouvoir témoigner afin que soient punis ceux qui étaient responsables des atrocités. Pourtant Gerstein ne fut pas considéré comme témoin mais comme suspect. A la fin du mois de mai 1945, il fut transféré de son hôtel, où il était placé en résidence semi-surveillée, vers la prison de Constance puis à la prison du Cherche-Midi à Paris. A Paris, il rédigea sa déclaration finale, connue sous le nom de "Rapport Gerstein". Dans ce texte, il raconta tout ce qu'il avait vu. Il y décrivit son expérience à Belzec et ses conversations avec von Otter et avec d'autres responsables étrangers.

Dans sa déclaration, Gerstein chercha à détourner de lui les soupçons qui le désignaient comme criminel nazi. A cause peut-être des accusations qui furent portées contre lui, de la profonde détresse dans laquelle il était plongé en raison de l'échec de sa tentative de retarder la mise en œuvre de la "Solution finale" ou de la peur d'être condamné pour son rôle au sein des SS, Gerstein se pendit en juillet 1945.

Le 17 août 1950, un tribunal de dénazification à Tübingen déclara que Gerstein avait été un criminel nazi en raison de sa participation à la production et à la livraison de Zyklon B. Sa veuve se vit refuser une pension. Près de 15 ans plus tard, avec l'aide du baron von Otter et d'autres amis influents, la femme de Gerstein obtint le pardon posthume pour son mari, en janvier 1965.

Bien que Kurt Gerstein soit mort depuis près de 70 ans, la nature exacte de ses relations avec le parti nazi et les SS reste un mystère. Cependant, pour ses amis et admirateurs, y compris ceux à qui il parla pendant la guerre, il fut un opposant convaincu au régime nazi.