La guerre en Pologne, qui commença en septembre 1939, prit au piège près de trois millions et demi de Juifs dans les territoires occupés par l’Allemagne et l’Union soviétique. Cependant, à la fin de 1940 et au début de 1941, quelques mois seulement avant que les Allemands commencent le meurtre en masse des Juifs en Union soviétique, un groupe d’environ 2 100 Juifs polonais put trouver un lieu sûr.

Peu d'entre eux y seraient parvenus sans les efforts inlassables de nombreuses personnes. Plusieurs organisations et communautés juives leur apportèrent une aide matérielle et financière continue. La plus décisive fut néanmoins la plus inattendue : celle des représentants du gouvernement néerlandais en exil et d'un allié de l'Allemagne au sein de l'Axe, le Japon. Leur action humanitaire en 1940 constitua un acte de secours essentiel pour des centaines de réfugiés juifs polonais de passage en Lituanie.

C'est à l'automne et l'hiver de l'année 1939 qu'environ 15 000 Juifs polonais trouvèrent temporairement refuge en Lituanie alors indépendante, notamment à Vilna. Ces réfugiés étaient principalement des hommes adultes, population la plus susceptible d'être persécutée en Pologne occupée. Il y avait aussi des familles dont les ressources financières permettaient de fuir les dangers de la guerre et de l'occupation. La plupart d'entre elles étaient issues de l'élite juive de la Pologne d'avant-guerre et représentaient des milieux culturels, religieux et politiques très variés.

Ces transplantés d'une Pologne déchirée par la guerre comprenaient des groupes de jeunes sionistes désireux de construire une patrie juive en Palestine, ainsi que des rabbins et des étudiants d’écoles talmudiques (yeshivas) polonaises. Tous purent reprendre leurs études ou leur formation en Lituanie. Il y avait aussi des hommes d’affaires, des avocats, des enseignants, des journalistes et des médecins. Beaucoup savaient qu'ils ne trouveraient pas tout de suite de travail en Lituanie et se mirent au service de la communauté des réfugiés.

Dans les cantines et les cafés, écrivains et activistes politiques se rencontraient pour parler de la guerre. Beaucoup voulaient quitter la Lituanie. Les projets d'émigration s'avéraient difficiles, car les autorités lituaniennes, souhaitant rester neutres, interdisaient aux hommes polonais en âge de combattre de partir.

Les réfugiés avaient fui la Pologne en n'emportant que peu de biens et se retrouvaient sans travail en Lituanie. La plupart d’entre eux dépendaient donc de l'aide d'œuvres comme le Joint Distribution Committee (JDC, ou Joint). Cette organisation caritative juive américaine faisait passer des fonds par des comités d’aide aux réfugiés juifs à Vilna et Kaunas (Kovno), et constituait leur principal soutien. Le JDC envoya sur place un Américain plein d'allant, Moses Beckelman, pour travailler avec Yitzhak Gitterman, qui avait transféré le bureau de l’organisation de Varsovie à Vilna. Cette équipe énergique mit sur pied des centres d'accueil et organisa des soupes populaires, distribua vêtements et chaussures, et offrit toute l'aide possible aux réfugiés.

Ceux-ci étaient inquiets pour leurs proches restés en Pologne. Les premiers mois de l'occupation allemande furent difficiles pour tous les citoyens polonais, mais les Juifs faisaient aussi l’objet de ségrégation et de persécutions imposées par les Nazis : rafles et enrôlement dans les brigades de travail forcé, port de signes distinctifs, création à Lodz du premier grand ghetto. Bien des réfugiés tentèrent de faire venir leurs familles en Lituanie, mais une personne sur deux seulement réussissait à y entrer sans papiers. D’autres Juifs refusaient de fuir pour ne pas risquer d'être arrêtés et pour rester avec leurs proches.

Les nouvelles qu'envoyaient la famille allégeaient un peu le poids de l'angoisse et de la culpabilité, mais leurs lettres étaient ouvertes et lues par des censeurs, ce qui limitait la communication. Dans l’incertitude face à leur avenir, inquiets pour ceux restés en Pologne occupée, les réfugiés ne pouvaient qu'espérer que la guerre prenne bientôt fin et que la Lituanie garde sa neutralité. Ces espoirs s'avérèrent sans fondement.

Le 15 juin 1940, les forces soviétiques occupèrent la Lituanie. Peu après, les Soviétiques et les autorités communistes locales commencèrent à imposer des changements dans le gouvernement et la vie économique du pays. Le 4 août, après un plébiscite truqué, la Lituanie devint la « République socialiste soviétique de Lituanie ». Le nouveau régime envoya les membres de la police secrète (NKVD) s'attaquer aux anticommunistes, tant de gauche que de droite. À Vilna et Kaunas, les réfugiés politiquement actifs se firent discrets, jusqu'à parfois se cacher sous de fausses identités.

Sans domicile fixe et sans emploi, tous les réfugiés étaient vulnérables. Beaucoup refusèrent la sécurité toute relative qu'offrait la citoyenneté soviétique, car elle mettait fin à leurs espoirs de rentrer un jour chez eux. Cependant, ce refus les exposait à la déportation en Sibérie ou d’autres lieux désertiques en tant qu’« éléments non fiables », un sort dont avaient déjà souffert des dizaines de milliers de réfugiés à l'est de la Pologne, occupé par les Soviétiques.

Ainsi, des milliers de Juifs polonais tentèrent désespérément de quitter le pays avant janvier 1941, date fixée par les Soviétiques comme délai d’acceptation de leur citoyenneté en Lituanie.