En général, le sentiment ou la violence antijuifs en Afrique du Nord provenaient d'une population de colons chrétiens et européens plutôt que des communautés locales musulmanes. Les racines de l'antisémitisme européen remontaient au 19siècle. Après le décret Crémieux de 1870, par lequel l'État français accordait la citoyenneté aux Juifs d'Algérie, des auteurs antisémites comme celui qui écrivait sous le pseudonyme de Daniel Kimon exprimaient une haine ouverte contre les Juifs et les musulmans, des groupes qui selon lui représentaient une menace biologique aux nations chrétiennes, aux sociétés aryennes, et à la France en particulier. À l'époque, les travaux des écrivains Édouard Drumont et Ernest Renan bénéficiaient d'une large diffusion en Algérie française, et leurs idées furent reprises dans les journaux d'Alger, d'Oran et de Constantine. En même temps, des penseurs antisémites tels que Max Régis (Massimiliano Régis Milano) s'arrogeaient un pouvoir croissant dans les universités et l'administration algériennes.

Au cours des années 1920 et 1930, les associations politiques antisémites émergèrent à nouveau pour protester contre ce qu'elles percevaient comme l'exploitation de l'Algérie par les Juifs algériens. Des journaux comme celui des Croix de feu, le Front paysan et Unions latines engagèrent des campagnes de calomnie contre les Juifs, qu'ils accusaient de semer le trouble dans la région. Ces sentiments déclenchèrent des violences entre chrétiens et Juifs (entre musulmans et Juifs également) dans tout le pays. Rien que dans la ville de Constantine, on dénombre 59 épisodes de troubles entre 1929 et 1934. Entre autres réactions, les Juifs formèrent un Comité d'union sémite universelle, organisation basée à Alger et dans d'autres villes du pays qui visait à contrer la propagande antisémite et plaider pour une administration partagée musulmane et juive de la Palestine. En écho aux objectifs du comité, Mohamed al-Kholti, un leader nationaliste marocain modéré, écrivit un article en 1933 appelant à une entente entre musulmans et Juifs.

C'est dans ce climat — et tout de suite après les violences qui éclatèrent à Hébron et Jérusalem en 1929 — que fut fondée la Ligue internationale contre l'antisémitisme (LICA), sous la présidence de Bernard Lecache, un fils d'émigrés juifs d'Europe de l'Est. La première assemblée de l'organisation, à Paris, fut consacrée à la paix en Palestine et à la réconciliation judéo-arabe.

Pour Lecache, il était possible de parvenir à une entente entre Juifs et musulmans en encourageant un débat amical entre eux. Si l'organisation se concentra d'abord sur la question de la Palestine, elle s'engagea ensuite plus avant sur la construction d'un partenariat pour combattre le nazisme, le racisme et l'antisémitisme dans la région méditerranéenne.

L'une des premières missions de la LICA fut d'étouffer les tensions qui se faisaient sentir entre Juifs et musulmans dans les villages nord-africains après la visite d'envoyés sionistes du Fonds national juif (KKL, Keren kayemeth Israël) et le Fonds pour la fondation de la Palestine (KH, Keren Hayesod). Pour explorer ces dynamiques, Bernard Lecache se rendit en mission en Afrique du Nord, accompagné de sa femme Denise Montrobert, fille de la journaliste socialiste française Caroline Rémy de Guebhard. Cette tournée permit à Lecache de créer de nouveaux liens avec des annexes de la LICA dans la région, et d'en faire naître de nouvelles (dans les villes tunisiennes de Sousse/Susa, Bizerte Nabeul/Benzart, Ferryville/Menzel Bourguiba et La Goulette, port de Tunis) ainsi que des sections pour les femmes.

Certains réformateurs musulmans se montrèrent réceptifs au message de Lecache, notamment le Cheikh Ben Badis, Mohammed Salah Benjelloul et le Cheikh El-Okbi. En 1939, Abder Rahmane Fitrawe publia « Le racisme et l'Islam », une brochure incluant de courts extraits de Mein Kampf en arabe et dont le but était d'illustrer la menace nazie et fasciste aux philosophies à contre-courant des enseignements de l'Islam. L'auteur et d'autres intellectuels musulmans furent critiqués pour leur alliance avec des leaders juifs et leur aspiration à un rapprochement judéo-musulman.

Face à cette ardeur, l'Allemagne nazie ouvrit un bureau à Melilla en 1937, et fonda une ligue internationale antijuive à Tanger. Adolf Langeheim et Johannes Bernhardt, représentants nazis dans le Maroc espagnol (contrôlé par Franco dès juin 1940) lança une campagne antijuive massive par l'intermédiaire de Servicio Mundial, une publication proposant des traductions et des résumés d'ouvrages européens antisémites. D'autres tracts en arabe et extraits de discours d'Hitler bénéficiaient d'une large diffusion auprès des populations musulmanes. Cette propagande haineuse accusait les Juifs d'être à l'origine de la guerre civile espagnole et revendiquait que le capitalisme juif mondial réduirait les musulmans à l'esclavage si les communistes sortaient vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.

La LICA est née des inquiétudes franco-juives que les idées fascistes et antisémites se répandraient d'Europe vers les populations indigènes des colonies françaises. Devant ces préoccupations de plus en plus présentes, l'organisation rechercha un partenariat judéo-musulman destiné à combattre le langage et les actes racistes et antisémites très présents dans les années 1930.