Introduction

Sites de massacres perpétrés par les Einsatzgruppen en Ukraine et les régions voisines

Les Allemands établirent le camp de Syrets aux abords nord-ouest de la capitale ukrainienne, Kiev, en mai 1942, près du ravin de Babi Yar, un site d’extermination où les Nazis et leurs auxiliaires assassinèrent des dizaines de milliers de Juifs et de non-juifs entre 1941 et 1943. Une branche du camp se trouvait au sud de Kiev, dans ce qui était alors le village de Myshelovka. 

Syrets entrait dans la catégorie des Arbeitserziehungslager (AEL, camp d’éducation par le travail) et ne faisait donc pas officiellement partie du système concentrationnaire SS. Généralement gérés par la Gestapo, les AEL avaient été conçus pour les personnes ayant enfreint, selon le régime, la discipline du travail. Les prisonniers étaient censés y être incarcérés pour une durée limitée (de quelques semaines à quelques mois), mais à mesure que la guerre avançait, les conditions de vie et de travaux forcés ainsi que le taux de mortalité firent de ces sites l’équivalent de camps de concentration nazis

À Syrets, les prisonniers étaient détenus pour diverses raisons, souvent sans lien avec leurs performances au travail et plus longtemps que la plupart des prisonniers d’autres camps d’éducation par le travail. La vie y était difficile et sous la menace constante de violences, de mauvais traitements, de maladies et de mort. En effet, les Allemands et les prisonniers fonctionnaires du camp exécutaient directement des détenus, les faisaient travailler jusqu’à épuisement ou infligeaient des sanctions mortelles. La faim et le froid tuaient également.

Les prisonniers de Syrets

Les prisonniers de Syrets incluaient des hommes et des femmes juifs et non-juifs appartenant aux groupes suivants :

  • Prisonniers de guerre soviétiques
  • Membres présumés de mouvements clandestins soviétiques (souvent appelés partisans)
  • Juifs de la ville de Kiev, de la région de Kiev, et de la région de Poltava
  • Civils non juifs (Ukrainiens Russes et autres) accusés de différents crimes

D’après les témoignages, des enfants se trouvaient également dans le camp de Syrets. Ils y furent vraisemblablement amenés avec leurs mères.

Les Allemands ne détinrent jamais plus de 3 000 personnes à la fois à Syrets. En général, les hommes étaient plus nombreux que les femmes. Au total, ce sont environ 10 000 prisonniers qui y furent incarcérés pendant sa période de fonctionnement.

Topographie de Syrets

On estime que le site de Syrets occupait deux à trois kilomètres carrés de terrain sur les lieux d’une ancienne garnison militaire. Une clôture électrifiée et des miradors en marquaient le périmètre et le camp était divisé en zones de travail et d’habitation séparées par des barbelés. 

Pendant les deux premiers mois de fonctionnement du camp, les prisonniers n’avaient aucun abri. Ensuite, les Allemands les forcèrent à construire des baraquements en bois et de grandes tranchées avec des toits en ferraille, chacune accueillant des dizaines de détenus. 

Les hommes et les femmes étaient incarcérés séparément. D’après leurs témoignages, les hommes étaient plutôt cantonnés aux vastes tranchées-abris et étaient organisés par type ou groupe de prisonniers. Par exemple, il y avait une « tranchée des Juifs », une « des partisans », et une « médicale ». Quant aux femmes, elles vivaient dans l’un des baraquements et les enfants restaient très probablement auprès de leurs mères.

Dirigeants et administration du camp

En tant que camp d’éducation par le travail, Syrets était administré par le commandant de la police de sûreté et du SD de Kiev (Kommandeur der Sicherheitspolizei und des SD Kiew, KdS Kiew), une charge importante dans la hiérarchie de la SS et de la police. À l’établissement du camp de Syrets, le poste de KdS Kiew était occupé par Erich Ehrlinger, un officier SS extrémiste qui avait déjà commis de nombreux massacres lorsqu’il était chef de l’Einsatzkommando 1b.

Pendant la majeure partie de l’exploitation de Syrets, ce fut le major SS Paul Otto von Radomski qui exerça le commandement. Parmi les autres Allemands administrant le camp, on compte son adjoint et la section de la Gestapo du camp. La garde était confiée à des membres de la SS, des Volksdeutsche (Allemands ethniques) et des collaborateurs habitant la région.

Par ailleurs, les Allemands déléguèrent le contrôle partiel des opérations quotidiennes à des prisonniers fonctionnaires sélectionnés pour maintenir l’ordre dans les tranchées et les baraquements, superviser les détachements de travail et tenter d’empêcher les évasions. D’autres prisonniers fonctionnaires se trouvaient également sur place, dont des informateurs infiltrés par la Gestapo pour espionner les détenus.

Vie quotidienne au camp de Syrets

Les prisonniers de Syrets étaient sévèrement maltraités par l’administration du camp. Leur vie quotidienne était marquée par les travaux forcés, la faim, la brutalité et la souffrance. 

Vol et pillage

Le vol et le pillage étaient répandus dans l’ensemble du système concentrationnaire nazi. Syrets ne fit pas exception. Lorsque les prisonniers arrivaient, les autorités du camp confisquaient vêtements, chaussures, bijoux et autres objets de valeur. En soudoyant les gardes du camp, ceux qui avaient de la famille dans la région pouvaient recevoir des colis de nourriture, de vêtements ou de médicaments. Ces articles étaient souvent aussi volés ou pillés.

Humiliations et maltraitance

Pour susciter la peur et faire régner l’ordre, les autorités du camp humiliaient et soumettaient les prisonniers à de mauvais traitements. On sait notamment grâce aux témoignages d’anciens prisonniers qu’ils étaient forcés de pratiquer des exercices de gymnastique difficiles, cruels, et dégradants, par exemple, marcher accroupis ou ramper sur le ventre sans utiliser les mains ni les pieds. Ils étaient également battus et attaqués par des chiens de garde. Certains ne survécurent pas à ces mauvais traitements. 

Famine

La famine sévissait constamment dans le camp. La majorité des prisonniers de Syrets n’avait droit qu’à un ou deux maigres repas par jour, en général une soupe claire. Un prisonnier a raconté qu’il ne recevait qu’une petite ration de pain quotidienne (environ 100 à 150 g). À la place des autres repas, ils buvaient un ersatz de café préparé à partir d’herbes sauvages bouillies dans de l’eau. Ces « repas » suffisaient à peine à maintenir les prisonniers en vie et à leur permettre d’effectuer des tâches atroces, épuisantes et mortelles. D’après certains témoignages, les prisonniers étaient si affamés qu’ils étaient contraints de manger des herbes et plantes sauvages, des chiens, des chats et des rats.

Mauvais traitements et meurtres des malades et des faibles

Les prisonniers malades étaient installés dans une tranchée spéciale afin d’éviter les risques de propagation. Ils ne recevaient ni soins ni nourriture. Chaque jour, les autorités du camp tuaient ceux qui étaient trop malades ou trop amoindris pour travailler. Ces meurtres étaient souvent commis devant les autres détenus, qui redoutaient alors de montrer le moindre signe de faiblesse ou de mauvaise santé.

Meurtres de prisonniers 

La menace d’être exécuté ou assassiné pour la moindre infraction aux règles était constante. Les autorités du camp et les gardes abattaient les prisonniers qui résistaient, tentaient de s’échapper ou ne pouvaient plus travailler, voire les tuaient sans motif apparent.

Mauvais traitements infligés aux prisonniers juifs

Les Juifs étaient bien plus mal traités que les autres prisonniers de Syrets. L’administration allemande et celle des prisonniers des camps soumettaient les Juifs à des humiliations et à de mauvais traitements encore plus intenses. Ceux-ci recevaient notamment moins de nourriture que les non-juifs.

Travaux forcés

Les conditions de vie atroces et violentes à Syrets concernaient aussi le travail. Les prisonniers devaient régulièrement effectuer des travaux forcés épuisants tout en étant soumis à un régime de famine. Ils étaient à l’œuvre par tous les temps sans équipement ni vêtements adaptés. Sur leurs lieux de travail, ils subissaient des sévices absurdes et pouvaient être tués à tout moment. Les accidents représentaient une autre cause de mortalité.

Plusieurs types de tâches étaient affectées aux prisonniers. Les artisans qualifiés, en particulier les Juifs, travaillaient comme charpentiers et techniciens. Certaines femmes cuisinaient, tandis que d’autres effectuaient des travaux forcés. Dans l'annexe de Myshelovka, des prisonniers étaient enrôlés de force comme ouvriers agricoles. Hors de l’enceinte du camp, à Kiev, ils déblayaient les débris et réparaient les routes et les trottoirs. À l’intérieur du camp, d’autres devaient construire les tranchées et les baraquements ou déraciner des arbres. 

Comme le raconte Raisa (ou Raysa) Kipnis, une prisonnière juive qui passait pour non-juive :

« Nous allions travailler, ils nous poursuivaient. Nous arrachions des arbres, nous déracinions tout. … La brigade juive poussait un chariot avec des pierres, et elle devait […] le pousser sans s’arrêter, tout en chantant [la chanson] "Les citrons". Si elles cessaient de chanter, cette [fonctionnaire prisonnière] Liza [Loginova] ou cette Vera Bondarenko fonçaient sur elles avec un fouet et les battaient […] »1  

Sonderaktion 1005 : cacher les crimes nazis à Babi Yar

Soldats d’unités non identifiées de l’Einsatzgruppe C (unité mobile d'extermination) fouillant les biens de Juifs massacrés ...

À l’été 1943, l’Armée rouge se rapprochait de Kiev. Les Allemands mirent en œuvre une opération spéciale de dissimulation appelée Sonderaktion 1005 [Opération spéciale 1005], dont l’objectif était de camoufler les massacres de Juifs et d’autres perpétrés par les Allemands dans toute l’Europe. Dans le cadre de la Sonderaktion 1005 à Kiev, les Allemands ordonnèrent à environ 300 prisonniers de Syrets de déterrer les fosses communes du site d’extermination de Babi Yar et d’incinérer les cadavres des victimes. 

D’après les témoignages donnés aux procureurs soviétiques devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, les prisonniers de Syrets étaient enchaînés et devaient travailler 12 à 15 heures par jour. Ils exhumaient les dépouilles du ravin de Babi Yar à la main, tandis que les Allemands utilisaient des pelleteuses pour accélérer le processus. Ceux-ci organisèrent des équipes spéciales pour piller les corps et récupérer boucles d’oreille, bagues, et dents en or. 

Les prisonniers reçurent l’ordre de construire de grands bûchers improvisés sur des monuments funéraires et tombes en granit provenant d’un cimetière juif voisin. Les corps étaient empilés sur plusieurs épaisseurs séparées par des couches de bois puis aspergés de carburant et brûlés. Pour s’assurer que les crimes de Babi Yar restent cachés, les Allemands broyèrent les os à l’aide de bulldozers. Les cendres furent dispersées dans le ravin de Babi Yar. Ces exhumations et incinérations continuèrent jusqu’à la fin septembre 1943. 

Quelques détenus de Syrets ayant participé à la Sonderaktion 1005 de Babi Yar parvinrent à s’échapper. Le reste de ces prisonniers furent exécutés par les Allemands une fois l’opération terminée.

Fermeture du camp de Syrets

À partir de septembre 1943, les Allemands commencèrent à transférer certains prisonniers de Syrets vers l’Allemagne. Ceux qui n’avaient pas été choisis pour être évacués furent abattus. L’exploitation du camp d’éducation par le travail de Syrets cessa ses activités au cours de l’automne. 

L’Armée rouge reprit Kiev le 6 novembre 1943. Peu après, les autorités soviétiques menèrent des enquêtes sur le site du massacre de Babi Yar et sur le camp de Syrets. Dans ce dernier, elles permirent de retrouver des fosses contenant des centaines de victimes. Les corps d’autres prisonniers de Syrets furent découverts dans le ravin voisin de Babi Yar, là où les fonctionnaires du camp les avaient abattus. 

On estime que sur les 10 000 prisonniers détenus à Syrets, au moins 5 000 y moururent ou y furent tués.

Procès et commémoration après-guerre

En février 1946, devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, des procureurs soumirent les témoignages d’anciens prisonniers de Syrets comme éléments de preuve contre 24 responsables allemands inculpés de crimes de guerre et d’autres crimes. 

En 1991, à Kiev, un monument a été dédié aux victimes du camp de Syrets.