La guerre en Pologne, qui commença en septembre 1939, prit au piège près de trois millions et demi de Juifs dans les territoires occupés par l’Allemagne et l’Union soviétique.

Cependant, à la fin de 1940 et au début de 1941, quelques mois seulement avant que les Allemands commencent le meurtre en masse des Juifs en Union soviétique, un groupe d’environ 2 100 Juifs polonais put trouver un lieu sûr. Peu d'entre eux y seraient parvenus sans les efforts inlassables de nombreuses personnes. Plusieurs organisations et communautés juives leur apportèrent une aide matérielle et financière continue.

La plus décisive fut néanmoins la plus inattendue : celle des représentants du gouvernement néerlandais en exil et d'un allié de l'Allemagne au sein de l'Axe, le Japon. Leur action humanitaire en 1940 constitua un acte de secours essentiel pour des centaines de réfugiés juifs polonais de passage en Lituanie.

Lorsque les Soviétiques envahirent la Lituanie, les réfugiés juifs qui avaient cherché asile dans ce pays neutre furent à nouveau pris au piège. L'invasion de l'Europe occidentale par l'Allemagne quelques semaines plus tôt puis la chute des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de la France dissipèrent toute illusion d'une fin rapide de la guerre à l'ouest. Les possibilités de s'enfuir étaient peu nombreuses, et toutes nécessitaient des autorisations consulaires (des visas) pour traverser les frontières internationales. Puis les Soviétiques ordonnèrent à tous les consulats de fermer leur porte avant le 25 août 1940. Il ne restait alors plus beaucoup de temps. Sans visa, les réfugiés allaient être bloqués dans une Lituanie sous contrôle communiste.

Les destinations qui avaient la préférence des réfugiés étaient les États-Unis et la Palestine sous contrôle britannique, mais des lois et des politiques draconiennes limitaient l'entrée dans ces deux pays. La loi américaine, votée en 1924 et toujours en vigueur en 1940, établissait des quotas stricts d'immigration aux États-Unis. Les consuls en poste à l'étranger ne pouvaient délivrer que 6 524 visas à des ressortissants polonais, et en 1940, l'attente pour en obtenir un était de deux ans. L'émigration vers la Palestine était aussi très difficile. Un Livre blanc publié par les Britanniques le 17 mai 1939 limitait à 15 000 par an le nombre de Juifs de tous pays autorisés à pénétrer dans le territoire sous mandat britannique.

Le seul espoir était de contourner les procédures d'immigration ordinaires avec l'aide d'organisations de l'étranger. Cependant, même avec le parrainage d'une organisation américaine, lorsque les consulats de Lituanie fermèrent leurs portes, il fallut faire vite. Le consul américain ne put accorder que 55 visas. Le représentant britannique délivra 700 certificats, notamment à de jeunes sionistes et des rabbins. Des centaines d'autres avaient besoin de visas pour quitter le pays.

Quelques-uns eurent la chance de pouvoir fuir vers l'est, par la route de l'Asie, grâce à un jeu de visas plutôt étrange : une fausse autorisation pour se rendre sur l'île néerlandaise de Curaçao, dans les Caraïbes, un endroit dont peu de réfugiés avaient entendu parler, et un visa de transit pour le Japon. La solution à ce problème de papiers survint de façon inattendue, au consulat néerlandais de Kaunas (Kovno). L.P.J. de Decker, le représentant néerlandais pour les trois états baltes, autorisa son consul par intérim en Lituanie, Jan Zwartendijk, à délivrer des permis stipulant qu'« un visa d'entrée n'est pas nécessaire pour l'admission d'étrangers au Surinam, à Curaçao et dans d'autres possessions néerlandaises en Amérique ». Élément capital, délibérément omis : l'admission relevait de la prérogative des gouverneurs coloniaux, qui l'autorisaient rarement.

Pour fuir l'Europe déchirée par la guerre en vue de rejoindre Curaçao, il fallait traverser l'océan Pacifique, ce que rendit possible le consul par intérim du Japon en Lituanie, Chiune Sugihara. En l'absence d'instructions nettes émanant de Tokyo, il accorda des visas de transit japonais à plusieurs centaines de réfugiés censés se rendre à Curaçao. Avant de fermer son consulat, il en délivra même à des réfugiés sans aucun papiers.

En janvier 1941, plusieurs centaines de réfugiés munis de leur seul « visa » pour Curaçao arrivèrent au Japon. De là, ils ne pouvaient aller nulle part ailleurs. Le ministère japonais des Affaires étrangères adressa un télégramme à Sugihara pour lui demander combien de visas de transit il avait accordés en Lituanie. Le 28 février 1941, celui-ci renvoya une liste de 2 140 personnes. Trois cents autres, principalement des enfants, furent sauvés par ces mêmes visas, délivrés entre le 11 juillet et le 31 août 1940.

Cependant, les réfugiés en règle ne purent pas tous quitter la Lituanie avant que les autorités soviétiques ne cessent de délivrer des visas de sortie.