Le 22 juin 1940, le Premier ministre français Paul Reynaud se rendit à l'Allemagne et l'armistice franco-allemand fut signé. Du traité naissait une zone d'occupation dans le nord et l'ouest, et, dans le sud, la France de Vichy, placée sous l'autorité d'un nouveau gouvernement collaborationniste dirigé par le maréchal Philippe Pétain. Son contrôle administratif s'exerçait sur les territoires d'outre-mer français en Afrique du Nord, notamment l'Algérie colonisée et les protectorats du Maroc et de Tunisie. La région devint alors un site unique dans la Seconde Guerre mondiale où la colonisation et le fascisme, parfois indissociables, coexistaient.

La majorité des personnes vivant dans l'Afrique du Nord de Vichy étaient des musulmans et des Juifs natifs de la région. Des colons européens s'y trouvaient aussi, ainsi que des milliers de réfugiés qui y cherchaient temporairement un foyer, notamment des Juifs, venus de partout en Europe. Parmi eux, certains avaient survécu à la guerre civile en Espagne, civils ou volontaires dans l'armée républicaine, tandis que d'autres fuyaient les menaces de conflits, de violences ou des lois raciales. De nombreux réfugiés avaient fait le voyage avant l'occupation allemande du nord et de l'ouest de la France, donc avant le régime de Vichy. Toutes ces personnes déplacées, considérées comme « indésirables » ou comme des étrangers, risquaient l'arrestation, et une bonne partie d'entre eux furent envoyés dans des camps de travail et d'internement.

Les camps d'Afrique du Nord En 1940, les autorités vichystes ordonnèrent la création d'un vaste réseau de camps de travail, parfois sur des sites existants, en Afrique du Nord (notamment en Algérie et au Maroc) et en Afrique-Occidentale française (notamment au Sénégal, au Mali et en Guinée) pour les réfugiés étrangers et les dissidents. Au Maroc et en Algérie, nombre de ces camps servirent au projet de construction du chemin de fer connu sous le nom de Méditerranée-Niger (Mer-Niger) que l'administration coloniale française avait conçu et lancé au 19siècle dans l'espoir de connecter Dakar (Sénégal) aux villes côtières algériennes. Des désaccords avaient bloqué les opérations, laissant l'entreprise à l'état de rêve inachevé.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le chemin de fer prit un nouveau sens. Les Nazis soutenaient le projet, qu'ils voyaient comme un bon moyen de déplacer les soldats sénégalais dans le désert saharien, et comme un système d'exploitation de vastes quantités de diverses ressources minérales et naturelles (comme le charbon). Recruter des ouvriers pour travailler dans un environnement désertique et rigoureux s'avéra cependant compliqué, jusqu'à ce que le ministre de l'Intérieur de Vichy autorise le déploiement d'une main-d'œuvre esclave dans le Sahara. Celle-ci fut majoritairement constituée d'« indésirables » et d'étrangers.

Début 1941, les autorités de Vichy transférèrent des centaines de réfugiés (hommes, femmes et enfants) dans des camps de travail de la région saharienne et d'autres sortes de centres de détention. Les Juifs étrangers constituaient la majeure partie des détenus, même si leur religion n'était pas particulièrement le motif de leur captivité. En Algérie par exemple, on estime à 2-3000 le nombre de Juifs internés aux côtés de prisonniers politiques de divers horizons, pour une population carcérale totale de 15 à 20 000 personnes

Les prisonniers politiques et les internés étaient pour la plupart organisés en groupes de travailleurs étrangers : les Groupes de travailleurs étrangers (GTE), les Groupes de travailleurs étrangers autonomes (GTEA), et les Groupes de travailleurs démobilisés (GTD). On trouvait également parmi eux des républicains espagnols, des prisonniers politiques et des Juifs engagés volontaires dans la Légion étrangère. Il semble que très peu de ressortissants juifs marocains aient été envoyés dans les camps vichystes de leur pays, peut-être même aucun, contrairement à ceux d'Algérie, où ils furent plus nombreux à être déportés, y compris d'anciens soldats juifs.

C'est au ministre de la Production et du Travail qu'incombait la tâche de gérer les camps vichystes et de surveiller les internés. En cas d'agitation et/ou de refus d'obéir aux ordres, et quand le régime réclamait plus de main-d'œuvre, on les déplaçait d'un camp à l'autre. L'ensemble de ces lieux formait ainsi un vaste réseau, le plus souvent le long de voies ferrées et à proximité de mines.

Au Maroc et en Algérie, plusieurs entités étaient chargées de l'administration quotidienne des camps : l'infanterie sénégalaise (les tirailleurs sénégalais), les musulmans enrôlés dans les services auxiliaires ou payés pour s'engager, des troupes auxiliaires marocaines (les goumiers), et des soldats de la cavalerie française recrutés au sein de groupes tribaux indigènes (les spahis). Le type de prisonniers variait selon le groupe qui les contrôlait : par exemple, les camps de Djelfa, Djenien Bou Rezg et Hadjerat M'Guil comportaient essentiellement des dissidents politiques, alors que Bou-Arfa et Colomb-Béchar étaient réservés aux GTE.

D'autres catégories de détenus étaient envoyées dans des camps de travail en Afrique-Occidentale Française. Vichy en installa six, destinés principalement aux prisonniers de guerre alliés et à des équipages néerlandais, grecs, danois et britanniques de l'armée navale ou de la marine marchande. Ces camps se trouvaient au Mali (Tombouctou et Koulikoro), au Sénégal (Sebikotane), et en Guinée, ancienne Guinée française (Conakry, Kinda et Kankan).  

Des mémoires, des journaux intimes et des poèmes écrits par des prisonniers témoignent des souffrances vécues au quotidien. Dans les camps de travail forcé du sud du Maroc et d'Algérie, ils subissaient de terribles punitions, ils étaient battus et pouvaient être envoyés au « tombeau », un trou où ils étaient contraints de rester 25 à 30 jours sans bouger. Ceux qui désobéissaient enduraient des châtiments sévères. Une autre sanction consistait à l'enfermement dans une « cage au lion » de moins de 2 m3 entourée de fil de fer barbelé. La nourriture était limitée à 100 grammes de pain par jour avec de l'eau. De nombreux prisonniers mouraient de piqûres de scorpions, de morsures de serpent, du typhus et de la malaria. Les quelques vêtements, couvertures et chaussures ne suffisaient pas à supporter la chaleur et le froid.

En Tunisie, les conditions n'étaient pas les mêmes qu'au Maroc et en Algérie, à commencer par les camps de travail et de détention, qui étaient surveillés par les Français, les Allemands et les Italiens, selon le moment de la guerre. Une quarantaine de camps furent construits après les débarquements alliés, quand l'Allemagne entama une occupation de la Tunisie qui dura 6 mois (novembre 1942-mai 1943). On estime à environ 5000 le nombre d'hommes juifs-tunisiens enrôlés pour le travail forcé dans ces espaces confinés. En même temps, ils étaient admis au travail forcé à proximité des lignes de front et dans des villes comme Tunis

La Libye fut un champ de bataille essentiel dans la Seconde Guerre mondiale, avec des territoires passant constamment des Italiens aux Britanniques. Les Allemands y représentèrent également les puissances de l'Axe. Mussolini ordonna que les Juifs de Cyrénaïque soient retirés des zones de combats soi-disant pour qu'ils ne viennent pas en aide aux Britanniques en février 1942. Pour la plupart, ces 2600 déportés furent envoyés dans le camp de Giado, un ancien poste militaire situé à 240 kilomètres au sud de Tripoli. D'autres furent emmenés dans les camps de Buq Buq et de Sidi Azaz. Sur les trois sites, le travail était obligatoire, avec des conditions particulièrement difficiles à Giado. Par ailleurs, les Italiens déportèrent d'autres Juifs libyens dans des camps d'internement en Tunisie.

Plusieurs organisations de secours, juives et non-juives, tentèrent de venir en aide à tous ces hommes, femmes et enfants. Ce fut le cas de l'AFSC, American Friends Service Committee et du Joint Distribution Committee américain. L'une des représentantes de ce dernier, Hélène Cazès-Benathar, et plusieurs autres, concentrèrent leur assistance sur des internés considérés comme non politiques.

Malgré ces efforts philanthropiques, les camps de Vichy ne fermèrent pas leurs portes tout de suite après l'Opération Torch (l'invasion anglo-américaine du Maroc et de l'Algérie), terminée le 16 novembre 1942. Pour les internés, leurs familles et leurs avocats, l'insulte n'en fut que plus profonde et durable. Il fallut de nombreux mois, parfois des années, avant que l'énorme projet de chemin de fer élaboré par le régime de Vichy fut abandonné, ses camps ouverts et les prisonniers libérés.