France
L'ENTRE-DEUX-GUERRES
Entre les deux guerres, la France comptait parmi les nations les plus généreuses dans sa politique d'accueil envers les immigrés juifs, dont beaucoup venaient d’Europe de l'Est. Après la Première Guerre mondiale, la France représentait une terre d'égalité et d'avenir. Des milliers de Juifs contribuèrent ainsi à faire de Paris un centre florissant de la culture juive.
Cependant dans les années 30, déstabilisés par un afflux important de réfugiés fuyant l'Allemagne nazie et la guerre civile espagnole, les dirigeants de la Troisième République (1870-1940) commencèrent à douter de cette politique de la « porte ouverte ». Au cours de la décennie, le gouvernement français imposa des limitations strictes à l'immigration et mit en place des camps d'internement et de détention pour les réfugiés, comme Gurs et Rivesaltes, dans le sud de la France.
L’INVASION ALLEMANDE
Lorsqu'à l'été 1940, la Troisième République s’effondra devant l’attaque allemande, il y avait environ 350 000 Juifs dans le pays. Moins de la moitié étaient citoyens français, et parmi les résidents, 75 000 ne l'étaient pas. Nombre d’entre eux étaient des réfugiés qui avaient fui les persécutions nazies du IIIe Reich. Ils furent rejoints par des Juifs et d’autres personnes en danger fuyant l'oppression allemande dans les territoires occupés de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas.
Les forces allemandes envahirent la France le 10 mai 1940. Le 22 juin, la France signa un armistice avec l'Allemagne qui entra en vigueur trois jours plus tard. Conformément aux termes de ce traité, l'Allemagne annexa l'Alsace et la Lorraine, région frontalière qui constituait depuis longtemps un sujet de discorde entre les deux pays.
Le reste du nord et de l’ouest de la France furent occupés et administrés par l'armée allemande, conjointement avec la Belgique, sous commandement militaire (Militärbefehlshaber). À partir d'octobre 1940, ces fonctions furent occupées par le général Otto von Stülpnagel. Son cousin, le général Karl von Stülpnagel, le remplaça en mars 1942 et devint commandant militaire de la Belgique et du nord de la France, jusqu'à son arrestation pour avoir participé à la tentative d'assassinat d'Hitler le 20 juillet 1944.
Cependant, dès l'hiver 1940-41, les SS et la police avaient établi leur appareil au sein de l’administration de Von Stülpnagel en France occupée. Le colonel SS Helmut Knochen était chef de la police de sûreté et du service de sécurité (SD) pour la France (Befehlshaber der Sicherheitspolizei und des SD, BdS), et le capitaine SS Theodor Dannecker fut chargé des affaires juives, sous le commandement du lieutenant-colonel SS Adolf Eichmann, à l'Office central de sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt, RSHA). En mars 1942, le commandant militaire de France et de Belgique occupées fut remplacé et, en vue des déportations de Juifs français à venir, le Reichsführer SS Henrich Himmler nomma le général major SS Carl Oberg comme chef supérieur de la SS et de la Police (Höherer SS- und Polizeiführer, HSSPF) pour la France.
LE RÉGIME DE VICHY
Jusqu'en novembre 1942, le sud et l'est de la France restèrent inoccupés. Un gouvernement collaborationniste français, dont le siège se trouvait à Vichy, en Auvergne, administrait la France libre.
En juillet 1940, l'Assemblée nationale vota la suspension de la constitution de la Troisième République et confia les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain, héros français de la bataille de Verdun pendant la Première Guerre mondiale. Pierre Laval, un ancien homme politique socialiste qui cultivait de bonnes relations avec Otto Abetz (représentant du ministère allemand des Affaires étrangères à Paris) assura la direction du gouvernement pendant la plus grande partie de l'Occupation.
Si en théorie les mesures prises par Vichy devaient s'appliquer à l'ensemble du territoire français, en pratique le nouveau gouvernement n'était autonome que dans la France libre. Officiellement neutre, la France de Vichy collabora étroitement avec l'Allemagne. Pétain et Laval mirent en place un programme nationaliste, remplaçant par exemple la devise « liberté, égalité, fraternité », qui puisait ses origines dans la Révolution française, par « travail, famille, patrie ».
À l'automne 1940, le gouvernement de Vichy promulgua une législation anti-juive étroitement calquée sur celle mise en place par les Allemands en zone occupée. Le « statut des Juifs », adopté en octobre 1940 puis en juin 1941, exclut les Juifs de la vie publique, organisant leur départ de l'administration et de l'armée. Il leur fut également interdit d'exercer des professions libérales (notamment la médecine, le droit et l’enseignement), commerciales et industrielles.
En mars 1941, le gouvernement de Vichy créa le Commissariat général aux questions juives, un organisme administratif chargé de centraliser et coordonner la politique anti-juive du régime de Vichy. En juillet, afin d'éviter que les biens matériels confisqués à la population juive ne tombent aux mains des Allemands, le gouvernement de Laval mit en place un vaste programme d'« aryanisation » par lequel les biens juifs devenaient propriété de l'État français. Cette législation laissa sans ressources la plupart des Juifs, frappant particulièrement durement ceux qui venaient de l'étranger. Des milliers d'entre eux furent envoyés, dans des conditions déplorables, dans des camps d'internement administrés par la France (Gurs, Saint Cyprien, Rivesaltes, le Vernet et les Milles). Au moins 3000 personnes y moururent pendant les années de guerre.
LES DÉPORTATIONS
Après la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, les autorités allemandes préparèrent la déportation des Juifs de France et d’autres pays d’Europe de l’Ouest. La nomination de Carl Oberg en mars accéléra le processus pour la France : un premier convoi de plus de 1000 Juifs quitta Compiègne pour Auschwitz le 27 mars 1942. Le 29 mai, les autorités allemandes publièrent un décret, entré en vigueur le 7 juin, rendant obligatoire le port de l'étoile jaune pour les Juifs en zone occupée.
Après s'être assurées du soutien du gouvernement de Vichy, les autorités allemandes et la police française procédèrent à des rafles de Juifs en zone libre et en zone occupée tout au long de l'été 1942. Les 16 et 17 juillet, sous la direction de René Bousquet, secrétaire général de la police du régime de Vichy, 13 000 Juifs furent arrêtés et enfermés plusieurs jours, dans des conditions effroyables, au Vélodrome d'hiver (« Vél' d'Hiv' »), à Paris. Comme la politique initiale de Vichy était que les convois vers l’est ne soient constitués que de Juifs adultes, les rafles déchirèrent les familles, séparant les parents, grands-parents et aînés des enfants les plus jeunes aux points de collecte et dans les camps de rassemblement français ou allemand.
À la fin de l'été 1942, les autorités françaises avaient modifié leur politique et expulsaient des familles entières. Les convois vers l'est inclurent alors les enfants et les adolescents.
À l'automne, environ 42 000 Juifs, dont près d’un tiers venait de la France libre, étaient passés par Drancy, un camp de transit situé en banlieue parisienne. Nombre d’entre eux étaient des étrangers ou des apatrides que le gouvernement de Vichy avait sacrifiés dans une vaine tentative d'épargner les Juifs français. La destination finale de ces déportés était Auschwitz, où ils furent en grande majorité gazés peu après leur arrivée.
Ces déportations de Juifs de France, de l'été à l'automne 1942, entraînèrent d'importantes protestations au sein de l'Église catholique, un des piliers du régime de Pétain, et dans la population. La nature brutale des rafles et l'incarcération au Vél d'Hiv' provoquèrent la colère de l’opinion. La décision initiale de séparer les enfants des parents suscita particulièrement la critique. Ces réactions conduisirent Laval à freiner sa coopération policière massive. Le programme de déportations établi par les Allemands pour le mois d'octobre fut abandonné.
La stratégie calculée du régime de Vichy de collaborer avec les Allemands sur les déportations afin d'obtenir plus d'indépendance pour la France non occupée avait échoué. La disponibilité du gouvernement Pétain à sacrifier les Juifs étrangers dans l’espoir de protéger les Français avait progressivement contraint Vichy à remplir tous les quotas d'expulsion qu'exigeaient les autorités allemandes, qui ne se souciaient pas des subtilités de nationalité et de citoyenneté.
LA ZONE ITALIENNE
En novembre 1942, les troupes allemandes occupèrent la zone jusque là dite « libre ». En tant qu'alliée de l'Allemagne, l'Italie occupait le sud-est de la France depuis 1940. Comme dans tous les territoires qu'elles contrôlaient et en dépit des demandes répétées des fonctionnaires allemands, les autorités italiennes refusaient d'appliquer strictement la législation antisémite et de livrer des Juifs. Des milliers d'entre eux trouvèrent protection en zone italienne jusqu'à la capitulation du pays en 1943 et son occupation par les forces allemandes.
REPRISE DES EXPULSIONS
Les autorités allemandes reprirent les déportations des Juifs de France en janvier 1943, qui eurent lieu jusqu'en août 1944. Au total, environ 77 000 d'entre eux périrent soit dans un camp de concentration, soit dans un centre de mise à mort (l'immense majorité d'entre eux à Auschwitz), ou dans un centre de détention situé sur le territoire français. Un tiers de ces victimes était des citoyens français.
Si les responsables français n'hésitaient pas à respecter les quotas allemands de déportations de Juifs étrangers ou apatrides vivant dans le pays, ils étaient moins enclins à sacrifier les Juifs français aux exigences allemandes. Lorsque les déportations reprirent en 1943, les administrateurs allemands remarquèrent que la police française semblait moins déterminée à les arrêter. Laval lui-même refusait de leur retirer la nationalité française, ce qui aurait facilité leur déportation. Grâce à l'obstruction des fonctionnaires français, la grande majorité des Juifs de nationalité française survécurent à la Shoah.
Le coût en vie humaine n'en fut pas moins énorme. L'historien Michael Marrus a noté que bien que la « "Solution finale" en France ait été un projet nazi du début à la fin », il est peu probable que les autorités allemandes auraient réussi à expulser un si grand nombre de Juifs de France sans l'aide et la coopération de la police et des administrateurs français.
LA LIBÉRATION DE LA FRANCE
Le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944, marqua le début de la libération de la France. La Résistance française joua un rôle important en aidant les armées alliées. Ses membres étaient issus de tous les milieux sociaux et de toutes les tendances de l'échiquier politique : conservateurs nationalistes, clergé catholique et protestant, communauté juive, républicains libéraux et militants socialistes et communistes.
Pendant l'Occupation, les cellules de résistants avaient mené des actions de sabotage et de guérilla contre les Allemands et les collaborateurs, et fait circuler des papiers d'identité et des documents à l'intention des populations persécutées. Elles avaient entretenu des filières clandestines d'évasion pour les Juifs, les travailleurs forcés, les prisonniers de guerre et les soldats pris au piège derrière les lignes allemandes. À présent, les groupes de résistance facilitaient l'accélération de l'avancée des Alliés contre les forces allemandes. En trois mois, le pays fut libéré.
Le 25 août 1944, les forces allemandes à Paris se rendirent et le lendemain, le général de Gaulle, chef des Forces françaises libres (FFL) et président du gouvernement provisoire de la République française, marchait triomphalement dans les rues de la capitale.
LES PROCÈS
Juste après la Libération, le gouvernement provisoire démantela la plupart des organisations collaborationnistes, notamment la Milice française, qui fut le groupe paramilitaire le plus important créé pour lutter contre la Résistance.
Après plusieurs jugements populaires et exécutions sommaires de collaborateurs, le gouvernement provisoire commença une série de procès contre les principaux responsables de Vichy. Pierre Laval, chef du gouvernement sous Philippe Pétain, et Joseph Darnand, chef de la milice, furent reconnus coupables de trahison et exécutés en octobre 1945. Le 15 août 1945, le maréchal Pétain fut également condamné à mort pour trahison. En raison du rôle qu'il avait joué pendant la Première Guerre mondiale et de son grand âge (il avait alors 89 ans), le général de Gaulle commua sa peine en prison à vie. Il mourut en 1951.
À partir du milieu des années 1970, la justice française entreprit de poursuivre plusieurs personnes pour crimes contre l'humanité pour leurs rôles respectifs dans le génocide nazi. Le premier succès fut le procès en 1987 de Klaus Barbie, le « boucher de Lyon », reconnu coupable par un tribunal français et condamné à la prison à vie principalement pour son rôle dans la déportation et la mort d'enfants juifs cachés dans le village d'Izieu.
Plus importantes sans doute furent les poursuites contre trois anciens fonctionnaires français, membres de l’administration de Vichy impliqués dans des crimes contre les Juifs ou dans la mise en œuvre de la « Solution finale » en France. En 1991, les autorités judiciaires à Paris inculpèrent René Bousquet, ancien secrétaire général de la police de Vichy, qui négocia en juillet 1942 la déportation de 10 000 Juifs étrangers de zone libre et qui, le même mois, ordonna la rafle de 13 000 Juifs au Vél d'hiv'. Christian Didier, un homme souffrant de troubles mentaux qui prétendait avoir tenté d'assassiner Klaus Barbie, tua Bousquet à son domicile le 8 juin 1993, peu de temps avant l'ouverture du procès.
En 1994, Paul Touvier, ancien chef régional du deuxième service (service de renseignement) de la Milice à Lyon, fut condamné par le tribunal de Versailles à la prison à vie pour l'exécution de sept otages juifs à Rillieux-la-Pape, près de Lyon. Touvier mourut d'un cancer de la prostate en 1996 dans la prison de Fresnes, en banlieue parisienne.
En 1998, un tribunal de Bordeaux reconnut Maurice Papon coupable de crimes contre l'humanité pour sa participation à la déportation de plus de 1600 Juifs entre 1942 et 1944, quand il était secrétaire général de la police à la préfecture de Bordeaux. Papon s'enfuit d'abord en Suisse pour échapper à sa condamnation à 10 ans de prison, mais fut extradé puis interné en France en 1999. En septembre 2002, Papon, alors âgé de 92 ans, fut libéré pour raisons médicales. Il mourut en février 2007.
Ces poursuites laissent penser que le legs de la collaboration durant « les années noires » de l'occupation allemande pèse encore sur la politique et la culture française d’aujourd’hui.