En 1933, les Juifs de Copenhague célébrèrent, lors d'un service auquel assistait le roi danois Christian X, le centième anniversaire de leur synagogue. Au cours des sept années suivantes, le Danemark accueillerait environ 4500 réfugiés juifs originaires d'Allemagne et d'Europe orientale. Environ 3000 d'entre eux étaient des chalutzim (le mot hébreu pour pionniers) venus au Danemark pour suivre une formation agricole avant d'émigrer en Palestine.

Lorsque l'Allemagne occupa le Danemark le 9 avril 1940, la population juive comptait environ 7 500 personnes soit 0,2% de la population totale du pays. Environ 6 000 de ces Juifs étaient citoyens danois et 1 500 des réfugiés. La plupart vivaient à Copenhague, la capitale du pays.

L'occupation allemande du Danemark fut relativement souple jusqu'en 1943. Les Allemands étaient désireux d'avoir de bonnes relations avec les Danois qu'ils considéraient comme des “frères aryens”. Ainsi, si l'Allemagne dominait la politique étrangère danoise, le gouvernement danois avait toute autonomie pour la gestions des affaires nationales, y compris pour le système judiciaire et la police.

Puisque la population juive était peu nombreuse et que les Danois lui apportaient un soutien constant, l'Allemagne décida tout d'abord de ne pas faire un enjeu majeur de la “question juive” au Danemark. Ainsi le représentant du ministère des Affaires étrangères allemand à la Conférence de Wannsee recommanda que les pays scandinaves soient exclus de la “Solution finale” dès lors que la “question juive” pourrait être résolue dans ces pays une fois la victoire totale acquise. Bien que la mise en oeuvre de la "Solution finale" en Norvège alla à l'encontre de cette recommandation, la politique générale de non ingérence au Danemark expliqua l'absence de telles mesures dans ce pays.

Contrairement à d'autres pays d'Europe occidentale, le gouvernement danois n'exigea pas des Juifs qu'ils déclarent leurs biens et actifs, qu'ils s'identifient ou qu'ils renoncent à leurs appartements ou leurs entreprises.

Par ailleurs, les Juifs n'étaient pas tenus de porter l'étoile jaune ou un badge d'identification. En 1941 et 1942, la synagogue de Copenhague fit l'objet de deux tentatives d'incendie mais la police locale intervint à chaque fois pour les empêcher et arrêter les auteurs. La communauté juive continua même à se réunir et à célébrer des offices pendant toute l'occupation allemande. Le soutien affiché du roi à cette communauté, ainsi que le refus des autorités danoises de procéder à toute discrimination, donna naissance à la légende selon laquelle le roi portait lui-même une étoile jaune. Bien que fausse, cette histoire illustre bien la volonté du roi de ne pas persécuter les citoyens et résidents juifs et reflète la perception populaire d'un Danemark qui protégea les Juifs.

L'occupation allemande se durcit au début de l'année 1943. Les victoires alliées persuadèrent de nombreux Danois que l'Allemagne pouvait être vaincue. Alors que la résistance avait été minime pendant les premières années de l'occupation, des grèves et des actes de sabotage se mirent à tendre les relations avec l'Allemagne. Le 28 août 1943, plutôt que de céder aux occupants qui exigeaient que les saboteurs soient désormais jugés par les tribunaux militaires allemands, le gouvernement danois démissionna. La nuit suivante, le commandant militaire allemand, le général Hermann von Hannecken, proclama l'état d'urgence. Les autorités allemandes arrêtèrent des civils — juifs comme non-juifs — ainsi que des militaires et prirent le contrôle direct de l'armée et de la police danoises.

Le 8 septembre 1943, le général SS Werner Best, l'administrateur civil du danemark, proposa dans un télégramme adressé à Adolf Hitler que les Allemands puissent avoir recours aux dispositions de la loi martiale pour déporter les Juifs danois. Hitler approuva la mesure neuf jours plus tard. Alors que les préparatifs étaient lancés, Best se mit à avoir des doutes sur les conséquences politiques d'une déportation. Il avertit alors l'attaché naval allemand, Georg Ferdinand Duckwitz, de l'imminence des expulsions. Avant le 28 septembre, date à laquelle l'arrêté de déportation arriva à Copenhague, Duckwitz et d'autres responsables allemands avaient averti des Danois non-juifs du plan. Ces derniers avaient à leur tour alerté la communauté juive.

Dans les jours qui suivirent, les autorités danoises, les dirigeants de la communauté juive ainsi que de nombreux citoyens menèrent une vaste opération qui permit à des Juifs d'entrer dans la clandestinité ou de se cacher provisoirement en lieu sûr. Quand la police allemande commença les arrestations la nuit du 1er octobre 1943, elle ne trouva que peu de Juifs. La police danoise refusa généralement de coopérer, déniant à la police allemande le droit d'entrer de force dans les maisons des Juifs, ou fermant les yeux sur les Juifs qu'elle trouvait cachés. Des protestations émergèrent rapidement de la part des Eglises, de la famille royale et de diverses organisations sociales et économiques. La Résistance, aidée par de nombreux citoyens, organisa une opération de secours qui fut pour partie coordonnée et pour partie spontanée.

Les résistants et sympathisants permirent d'abord aux Juifs de se cacher dans le pays, puis de gagner la côte et d'être transportés par des pêcheurs jusqu'en Suède, pays neutre. Cette opération de secours impliqua même la police et le gouvernement danois. Pendant une période d'environ un mois, 7 200 Juifs ainsi que 700 membres non juifs de leurs familles furent transportés à l'abri en Suède, qui accepta de recevoir les réfugiés. L'organisation ne s'arrêta pas une fois les réfugiés juifs en sécurité en Suède, certains bateaux y transportèrent également des membres de la Résistance et firent passer clandestinement au Danemark des agents de renseignement suédois.

Malgré les efforts déployés, les Allemands saisirent environ 470 Juifs au Danemark et les déportèrent au ghetto de de Theresienstadt en Tchécoslovaquie occupée. Bien que la plupart des victimes étaient des réfugiés venant d'Allemagne ou d'Europe orientale, et n'étaient pas citoyens danois, les autorités et la Croix rouge danoises cherchèrent à obtenir haut et fort des informations sur leurs sorts et leurs conditions de vie. La vigueur des protestations danoises a probablement dissuadé les Allemands de déporter ces Juifs vers les centres de mise à mort de Pologne occupée. Les autorités SS de Theresienstadt autorisèrent même les prisonniers danois à recevoir des lettres et quelques paquets. La Croix rouge danoise fut largement à l'origine de la demande du Comité internationale de la Croix rouge, d'abord faite à l'automne 1943, de visiter et d'inspecter Theresienstadt. Une fois l'autorisation accordée par l'Office principal de la sécurité du Reich (RSHA), un représentant de la Croix rouge danoise accompagna les responsables de la Croix rouge internationale lors de la visite en juin 1944.

Les Juifs danois restèrent à Theresienstadt, où des dizaines d'entre eux moururent, jusqu'en 1945. Fin avril, les Allemands les remirent à la Croix rouge suédoise. Pratiquement tous les réfugiés retournèrent au Danemark en 1945. Bien qu'une pénurie de logements obligea certains d'entre eux à vivre dans des refuges pendant quelques mois, la plupart retrouvèrent leurs habitations et leurs entreprises telles qu'ils les avaient laissées, puisque les autorités danoises n'avaient pas autorisé les Allemands et leurs collaborateurs au Danemark à saisir ou à piller les biens des Juifs.

Au total, quelque 120 Juifs danois périrent pendant la Shoah, soit à Theresienstadt soit en fuyant le Danemark. Ce nombre relativement réduit représente l'un des taux de survie les plus élevés pour les Juifs de tous les pays d'Europe occupés par l'Allemagne.