Auschwitz vu par les SS : le procès de Francfort
Peu après la Seconde Guerre mondiale, un officier des renseignements américains résidant en Allemagne découvre un album personnel de photographies qui raconte les activités des officiers SS à Auschwitz-Birkenau. Ces images, rares, montrent les Nazis en train de chanter, de chasser, et même de décorer un arbre de Noël. Elles présentent un contraste saisissant avec celles des milliers de Juifs hongrois qui étaient déportés à Auschwitz au même moment.
En 1963, lors du procès d'Auschwitz, à Francfort, Karl Höcker se trouva enfin en position d'accusé. Pour la majeure partie, sa déposition concernait « la rampe » : s'il y avait travaillé, et s'il avait participé au processus de sélection qui déterminait si les prisonniers arrivants allaient vivre ou mourir. Höcker déclara qu'il n'avait pas été chargé des effectifs sur la rampe ; qu'il n'y avait jamais personnellement travaillé ni participé à une sélection ; qu'il n'avait jamais vu d'exécution, et qu'il n'avait pris conscience de l'existence des chambres à gaz qu'après son arrivée à Auschwitz.
Bien que des témoins aient attesté que Höcker avait été en poste sur la rampe, personne ne put affirmer avec certitude qu'il s'y soit rendu. Et on ne le voit à cet endroit sur aucune photo. Toutefois, l'album personnel de Höcker le montre en relation étroite avec les principaux acteurs de Birkenau — Höss, Kramer, Mengele et même le responsable des fours crématoires, Moll. Höcker figure à leurs côtés non pas à une seule reprise, mais sur presque chaque page. Parce que beaucoup de ses collègues SS participaient au processus, il n'est pas crédible quand il déclare ne pas avoir été au courant des sélections.
En 1965, le tribunal de Francfort conclut que, en tant qu'adjudant de Baer, Höcker était dans l'ensemble coresponsable de la déportation de Juifs vers Auschwitz-Birkenau quand les chambres à gaz fonctionnaient en surcapacité ; il fut également conclu qu'il disposait d'informations précises sur les arrivées de convois grâce aux télégrammes qui les annonçaient. Cependant, les procureurs ne surent prouver qu'il avait personnellement participé au processus d'extermination. Même s'il n'avait pas été présent en personne sur la rampe, la cour le rendit coupable de complicité dans le meurtre de 1 000 individus à quatre reprises distinctes. Il ne fut condamné qu'à sept ans de prison. Déduction faite du temps passé en détention, Karl Höcker fut libéré en 1970. Il retrouva son travail de caissier principal à la banque régionale de Lübeck. Il décéda en 2000 à l'âge de 88 ans.
Des milliers de témoignages de survivants décrivent le calvaire des prisonniers, mais peu rendent compte de l'univers totalement différent dans lequel vivaient les SS à quelques kilomètres à peine de là. Il est toutefois important d'analyser Auschwitz dans son ensemble. Les personnes que l'on voit dans l'album de Karl Höcker sont les mêmes que celles qui ont préparé l'arrivée du convoi de Lili Jacob. Elles ont été photographiées quelques semaines seulement après celles figurant dans l'album de celle-ci. Auschwitz n'était pas un camp radicalement différent au cours de ces semaines-là : le personnel était le même, les lieux étaient les mêmes, les crimes étaient les mêmes. Comme la seule autre importante série de photographies du camp a été prise en 1942 au moment où Himmler faisait une visite d'inspection, celle de Höcker apporte une précieuse contribution au discours historique. Comment comprendre comment l'Holocauste a pu se produire sans se pencher sur les auteurs de ces crimes ? De manière générale, la vie du personnel d'Auschwitz telle qu'on la voit dans l'album de Höcker semble être heureuse et insouciante.
Les photographies prises à Noël 1944 montrent que jusqu'au dernier moment, les SS ont eu le temps et l'envie de s'amuser. Sur celles de Höcker, les hommes n'ont pas l'air de sadiques, mais de bons soldats qui se détendent après le travail. Cela ne devrait peut-être pas surprendre. Au procès d'Auschwitz, Höcker niait systématiquement tout méfait.
De même, Rudolf Höss soutient dans son autobiographie qu'en dépit de son rôle central dans la Solution finale, il était tout de même un homme moral et honnête. Il écrit : « Que le grand public continue simplement à me voir comme une bête sanguinaire, un cruel sadique, le meurtrier de millions de gens, car les masses populaires sont incapables de concevoir le commandant d'Auschwitz autrement. Elles ne seraient jamais en mesure de comprendre que lui aussi avait un cœur et qu'il n'était pas un homme mauvais. » La manière dont des hommes comme Karl Höcker concilient ces deux aspects de leur vie et de leur personnalité est l'une des questions les plus troublantes restées sans réponse — et peut-être n'en ont-elles pas — de l'Holocauste. C'est pour cette raison que son album constitue un document si marquant et fascinant.