Une comparaison s'impose entre l'album de Höcker et l'autre album d'Auschwitz que l'on connaît. La propriétaire initiale du second, Lili Jacob (ultérieurement appelée Zelmanovic Meier) fut déportée avec sa famille depuis Bilke (aujourd'hui Bilki, en Ukraine) jusqu'à Auschwitz, fin mai 1944. Bilke était une petite ville près de Berehove, dans l'oblast de Transcarpatie, alors partie de la Hongrie. Ils arrivèrent le 26 mai 1944, le jour même où des photographes professionnels SS immortalisaient l'arrivée du train et le processus de sélection. Richard Baer et Karl Höcker arrivèrent à leur tour à Auschwitz quelques jours seulement avant ce convoi. Après avoir survécu à Auschwitz, au travail forcé à Morchenstern, un sous-camp de Gross-Rosen, et au transfert à Mittelbau-Dora où elle fut libérée, Lili Jacob découvrit un album contenant ces photographies dans le tiroir d'une table de nuit, dans une caserne SS abandonnée, alors qu'elle se remettait du typhus.

Dans l'album, Lili Jacob trouva d'abord une photographie de son rabbin, puis d'elle-même, de nombreux voisins et de membres de sa famille, dont un cliché connu de ses deux frères cadets Yisrael et Zelig Jacob. Elle emporta avec elle l'album original lorsqu'elle immigra aux États-Unis. Publiées par la suite à plusieurs reprises, ces images servirent de preuves lors du procès d'Auschwitz à Francfort (au cours duquel Lili Jacob comparut comme témoin et Karl Höcker comme accusé). En 1983, Lili Jacob fit don à Yad Vashem de l'album de photos montrant l'arrivée de son convoi à Auschwitz.

Nous ne savons pas pourquoi l'album qu'a découvert Lili a été fait. Il est possible que le premier propriétaire ait été Richard Baer, le supérieur hiérarchique de Höcker. Au moment de l'arrivée des Juifs hongrois, Baer n'était pas seulement le commandant d'Auschwitz mais également de Mittelbau-Dora, où l'album a été retrouvé. Quoi qu'il en soit, il est crucial de considérer ces albums en parallèle, car ils nous permettent de nous rendre compte des deux visions différentes qu'avaient les SS de la réalité. L'aspect le plus surprenant concernant l'album d'Auschwitz de Höcker est que l'on n'y voit aucun prisonnier, pas même tapi en arrière-plan des photographies prises à l'intérieur du camp.

Bien que l'album de Höcker ne montre aucun acte criminel ou immoral, on est frappé par son amoralité. Il ne contient pas de photographies de chambres à gaz, de salles de torture, ni même du travail forcé. Par contre, on y voit des officiers SS vaquant à leurs occupations, discutant, profitant du beau temps et pleurant leurs camarades morts, semblant faire peu de cas de l'ampleur des crimes qu'ils perpétraient ou qu'ils autorisaient.