
Kapos et autres prisonniers fonctionnaires dans les camps de concentration nazis
Dans les camps de concentration, les SS forcent des détenus à contribuer au bon fonctionnement du site. On les appelle « détenus à fonction » ou « prisonniers fonctionnaires ». Ils sont affectés à des postes administratifs et de supervision : doyens de camp, doyens de bloc, secrétaires, kapos, et autres. Ces places comportent certains privilèges, notamment des rations alimentaires légèrement plus importantes et de meilleurs vêtements.
Points de repère
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Les kapos sont les prisonniers fonctionnaires les plus connus. Ils supervisent toutes les tâches effectuées par les détenus. Souvent, ils fouettent, battent, voire tuent les prisonniers sous leur commandement.
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Certains prisonniers fonctionnaires abusent de leur pouvoir, se comportent de manière sadique, rendent la vie de leurs codétenus plus difficile. D'autres, en particulier les médecins, les infirmiers et les secrétaires, les aident à survivre.
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Dans le système concentrationnaire nazi, tous les prisonniers (fonctionnaires compris) sont soumis à des actions de dégradation et de déshumanisation, et à une cruauté extrême.
Les prisonniers fonctionnaires (Funktionshäftlinge) étaient des détenus des camps de concentration affectés à des postes de supervision ou d'administration dans les camps.
Les kapos sont les plus connus, ils supervisaient certaines tâches effectuées par les prisonniers. Ces postes étaient divers et variés. On comptait notamment parmi eux les doyens de camps (Lagerältesten), les doyens de bloc (Blockältesten) et les secrétaires (Schreiber), entre autres.
Tous les prisonniers fonctionnaires faisaient partie d'une structure administrative standardisée au sein du camp. Au-dessus d'eux se trouvaient l'administration du camp SS et ses gardes, et en dessous, le reste des détenus. Ils s’avéraient essentiels au bon fonctionnement des opérations quotidiennes.
En raison de leur position dans le système concentrationnaire, ils exerçaient un pouvoir considérable sur les autres détenus. Au sommet de la hiérarchie, ils pouvaient imposer certaines punitions. Ils étaient également en mesure d’accorder des récompenses à leurs codétenus, voire dans certains cas, les aider en secret. Ils bénéficiaient donc de privilèges que les autres prisonniers n’avaient pas.
Pourquoi les SS utilisaient-ils des kapos, des doyens de bloc et autres prisonniers fonctionnaires ?
Les SS conçurent ce système principalement pour économiser la main-d'œuvre, les ressources et l'argent allemands. Il s’agissait également de miner la solidarité entre prisonniers et de décourager la résistance. On représente souvent ce système comme une auto-administration (Selbstverwaltung), mais cette appellation est trompeuse parce que les prisonniers n'avaient pas de contrôle direct sur l'attribution des postes de fonctionnaires.
Cette organisation fut d’abord mis en place au camp de concentration de Dachau dans les années 1930. Au fur et à mesure qu'ils en créaient d’autres, les SS transféraient souvent des prisonniers fonctionnaires expérimentés des camps les plus anciens vers des nouveaux.

Quels étaient les principaux postes de fonctionnaires ?
Les fonctionnaires supervisaient plusieurs domaines et activités : dans les baraquements où vivaient les détenus, aux divers postes de travail, à l'infirmerie, aux cuisines ou dans les bureaux administratifs. Les prisonniers fonctionnaires avaient différents titres, qui indiquaient leur rang et leurs tâches.
Les doyens de camp
Les doyens de camp (Lagerältesten) étaient les plus élevés dans la hiérarchie. Le mot « doyen » désigne ici une position d’encadrement, et non l’âge du prisonnier. Ils étaient responsables du bon fonctionnement général du camp et rendaient compte à l'officier SS responsable du camp (appelé le Schutzhaftlagerführer).
Dans les baraquements
Les doyens de bloc (Blockältesten) étaient responsables des baraquements d'habitation. Dans la terminologie concentrationnaire, on parlait de « blocs ». Ces doyens décidaient de l'endroit où les prisonniers de leur bloc dormaient et de l'ordre dans lequel ils recevaient leur nourriture. Ils pouvaient les récompenser avec de meilleures ou de plus grandes rations, ou bien leur infliger des sanctions disciplinaires pour avoir enfreint les règles du camp, les frapper arbitrairement ou les punir sans aucun motif. Dans la hiérarchie des prisonniers fonctionnaires, les doyens de bloc rendaient compte aux doyens du camp. Ils encadraient ceux qui effectuaient les corvées dans les chambres (Stubendienste ou Stubenälteste).
Un officier SS subalterne, qu'on appelait le chef de bloc SS (Blockführer), veillait à ce que les doyens de bloc s'acquittent de leurs tâches.
Qu'est-ce qu'un kapo ?
Les kapos supervisaient leurs camarades prisonniers dans le cadre des tâches de travail forcé. Contrairement aux termes désignant d'autres fonctionnaires, « kapo » n'est pas un mot allemand. Son origine exacte est inconnue, mais il est clair qu'il était déjà utilisé à Dachau.
Les kapos gardaient et supervisaient les détenus des camps de concentration qui effectuaient des travaux forcés, parfois à l'intérieur même du camp. Ils avaient également sous leur responsabilité les équipes de travail (Kommandos) dans les cuisines, les buanderies, les ateliers et les infirmeries du camp. D'autres dirigeaient les travaux forcés sur des sites extérieurs, par exemple sur les chantiers de construction, les carrières, les fermes, les pêcheries et les usines.
Ils devaient veiller à ce que les prisonniers fassent leur travail, respectent leurs quotas et ne se relâchent pas. Les SS attendaient des kapos qu'ils recourent à la force physique et à la violence pour corriger ceux qui ne se montraient pas à la hauteur.
Certains grands groupes de travail (plus de 1 000 travailleurs forcés) étaient dirigés par un Oberkapo (« kapo supérieur »). Les Oberkapos supervisaient les kapos et d'autres prisonniers fonctionnaires, y compris les Unterkapos (« sous-kapos ») et les Vorarbeiter (« chefs d'équipe »).
Autres prisonniers fonctionnaires
En plus des doyens de camp, des doyens de bloc et des kapos, il existait un certain nombre de postes de prisonniers fonctionnaires. Les secrétaires (Schreiber) étaient responsables de la tenue des registres et autres tâches administratives. Les détenus médecins (Häftlingsärtzen) et infirmiers (Häftlingspflegeren) étaient affectés aux infirmeries (Krankenrevieren). Pendant la Seconde Guerre mondiale, certains camps disposaient également d'une police de prisonniers (Lagerpolizei ou Lagerschutz) en raison du manque d'effectifs chez les gardiens SS.
Quels prisonniers fonctionnaires exerçaient les fonctions de kapos, de doyens de bloc, ou autres ?
Dans les camps de concentration, les prisonniers fonctionnaires provenaient de toutes les catégories de détenus. Hommes et femmes, ils étaient de différentes nationalités et variaient d'un camp à l'autre, tout comme la population concentrationnaire en général. Cependant, dans la plupart des camps de concentration, c’étaient les prisonniers allemands (d'Allemagne et de ses territoires annexés) qui dominaient la hiérarchie. De même dans les camps comptant une population de prisonniers majoritairement non allemande, comme Stutthof et Riga-Kaiserwald.
Les prisonniers fonctionnaires les plus tristement connus étaient emprisonnés à titre de criminels professionnels. D'autres avaient été emprisonnés en tant qu'individus « asociaux », prisonniers politiques et juifs.
Les avantages des postes de prisonniers fonctionnaires
Dans le contexte du camp de concentration, les prisonniers fonctionnaires étaient relativement privilégiés par rapport aux autres. Leurs nombreux avantages comprenaient notamment :
- de meilleurs logements, rations et vêtements ;
- un accès à des produits « de luxe », comme l'alcool et les cigarettes ;
- un accès à des informations concernant les nouvelles du camp ;
- un travail moins exigeant physiquement ; et
- la chance de pouvoir éviter les préjudices physiques.
Ces privilèges contribuèrent souvent à améliorer leurs chances de survie. Il était dans leur intérêt de conserver leur poste afin de ne pas perdre leurs avantages.
Les relations avec les autres détenus
Les prisonniers fonctionnaires avaient une certaine latitude dans l'exercice de leur pouvoir et le traitement de leurs codétenus. De nombreux exemples de prisonniers fonctionnaires montrent qu’ils abusaient de leur position et rendaient la vie des autres détenus plus difficile. D’autres, cependant, en aidèrent certains à survivre.
Création de systèmes de bénéficiaires
De nombreux prisonniers fonctionnaires créèrent des systèmes de bénéficiaires avec leurs codétenus. Il s'agissait souvent de relations mutuellement avantageuses. Aider les prisonniers à obtenir de meilleurs postes de travail, plus de nourriture ou d'autres avantages, pouvait leur permettre de recevoir leur aide en échange, grâce à de petites tâches qu’ils accomplissaient. Généralement, ces réseaux se formaient entre personnes de la même catégorie de prisonniers ou de la même nationalité. Par exemple, les prisonniers politiques communistes avaient tendance à créer des réseaux avec d'autres prisonniers politiques communistes.
Aide aux réseaux de résistance dans les camps de concentration
Les prisonniers fonctionnaires étaient souvent au courant des dernières nouvelles du camp. Ainsi, ils pouvaient y jouer un rôle important dans les mouvements de résistance et fournir à ceux-ci un accès à diverses ressources. Dans plusieurs camps, notamment Buchenwald et Auschwitz, ils jouèrent un rôle central dans les efforts de résistance.
Assistance à autrui
Certains prisonniers fonctionnaires contribuèrent à protéger et à prendre soin de leurs codétenus. Les secrétaires, les médecins et les infirmiers sont souvent mentionnés pour leurs actes de générosité, petits ou grands.
Par exemple, les secrétaires décidaient parfois de consigner les informations personnelles d'un prisonnier nouvellement arrivé de manière à améliorer ses chances de survie. Ils pouvaient falsifier l'âge d'un individu afin que celui-ci se retrouve dans la tranche d'âge considérée comme appropriée pour le travail forcé. Un autre moyen consistait à inscrire les détenus comme ayant une compétence ou un métier utile dans le camp.
Malgré l'absence totale de conditions sanitaires, de médicaments et de fournitures, les prisonniers médecins et infirmiers tentèrent d’apporter des soins médicaux aux détenus malades ou blessés. Ils parvenaient parfois à trouver comment atténuer les souffrances et sauver des vies sans enfreindre les ordres des SS.
Maltraitance et assassinat des prisonniers
Pour les kapos et les doyens de bloc, battre et punir les prisonniers subalternes relevait des tâches obligatoires. La violence interpersonnelle faisait partie intégrante de la vie du camp et les SS l'exigeaient. La plupart des prisonniers fonctionnaires répondaient à leurs attentes, frappant les prisonniers qui sortaient du rang ou qui ne pouvaient pas faire leur travail.
Certains prisonniers fonctionnaires devinrent tristement célèbres pour leur cruauté sadique. Un certain nombre d'entre eux portaient des fouets ou des bâtons, qu'ils utilisaient sur les prisonniers sous leur surveillance. Dans de nombreux cas, ils assassinèrent des codétenus dans le cadre de leurs fonctions. Les abus et agressions étaient également fréquents.
La punition des prisonniers fonctionnaires après la guerre
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un petit pourcentage de prisonniers fonctionnaires fut puni. Des confrontations directes entre d'anciens fonctionnaires et des prisonniers témoins de leur inconduite eurent lieu. Dans quelques cas de ce genre, d'anciens détenus tuèrent des prisonniers fonctionnaires dans des actes de vengeance extrajudiciaires. Dans d'autres cas, ils dénoncèrent des prisonniers fonctionnaires aux Alliés ou à d'autres autorités. Certains de ces individus furent jugés lors de procès pour crimes de guerre par des tribunaux militaires alliés, ainsi que par des juridictions européennes et israéliennes, souvent aux côtés de leurs anciens gardiens SS. Cependant, tous ne furent pas condamnés.

Les kapos et les autres prisonniers fonctionnaires dans la mémoire de l'après-guerre
Kapos et autres prisonniers fonctionnaires apparaissent souvent dans les mémoires et témoignages des rescapés. Nombre d'entre eux décrivent toutes sortes de comportements qu'ils ont subis de la part de prisonniers fonctionnaires. Ils relatent les abus et les meurtres, mais aussi l'aide et le sauvetage. Elie Wiesel, lauréat du prix Nobel, a raconté dans son célèbre récit autobiographique, La nuit, comment un kapo l'avait maltraité à Auschwitz.
Dans un essai intitulé La zone grise, Primo Levi, rescapé d'Auschwitz, détaille comment les prisonniers fonctionnaires évoluaient dans une zone moralement ambiguë. Il remarque :
Le réseau des relations humaines à l'intérieur des Lagers [camps] n'était pas simple : il ne pouvait être réduit à un bloc de victimes face à un bloc de persécuteurs… La classe hybride des prisonniers fonctionnaires… est une zone grise, aux contours mal définis, qui sépare et réunit à la fois les deux camps, celui des maîtres et celui des esclaves.
Il nous met en garde contre le jugement du comportement moral des individus dans des circonstances coercitives aussi extrêmes. Il rappelle au lecteur que « la plus grande responsabilité incombe au système, à la structure même de l'État totalitaire ».
Dans le système concentrationnaire nazi, tous les prisonniers (y compris les prisonniers fonctionnaires) étaient soumis à des actions de dégradation, de déshumanisation et à une cruauté extrême. Face à cette inhumanité, beaucoup tentaient simplement de survivre.