L'impact de la Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale fut le conflit le plus destructeur de l'histoire moderne, avec plus de 10 millions de soldats tués. Ces lourdes pertes, subies par tous les belligérants, étaient dues en partie à l'apparition de nouvelles armes, comme la mitrailleuse et le gaz de combat, ainsi qu'à l'échec des chefs militaires à adapter leurs tactiques à une guerre de plus en plus mécanisée. La politique d'usure, notamment sur le front de l'ouest, coûta la vie à des centaines de milliers de combattants.

Pendant la guerre, aucun organisme officiel n'a tenu de statistiques précises sur les pertes civiles, mais les chercheurs avancent que le conflit aurait tué, directement ou indirectement, jusqu'à 13 millions de victimes. En Europe et en Asie Mineure, des millions de personnes furent arrachées à leurs foyers et déplacées. Les pertes matérielles et industrielles furent catastrophiques, notamment en France, en Belgique, en Pologne et en Serbie, où les combats furent les plus lourds.

Les traités de Saint-Germain-en-Laye, de Trianon et de Sèvres

Après une guerre si dévastatrice, les puissances victorieuses imposèrent une série de traités sévères aux nations vaincues. Ceux-ci prévoyaient la perte de vastes portions de territoires et le paiement de lourdes réparations. On avait rarement vu le visage de l'Europe changer de manière si profonde. La guerre marqua la disparition des empires allemand, austro-hongrois, russe et ottoman.

Le traité de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 fonda la République d'Autriche, qui se composait de régions germanophones prises à l'Empire des Habsbourg. Des anciennes terres domaniales naquirent les États successeurs comme la Tchécoslovaquie, la Pologne, et le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, qui devint la Yougoslavie en 1929. Le traité donnait aussi le Tyrol du Sud, Trieste, Trentino, et l'Istrie à l'Italie, et la Bucovine à la Roumanie. Un principe important du texte était que l'Autriche se voyait empêchée de s'unir avec l'Allemagne, ce que les « Pan-germanistes » avaient longtemps désiré et qu'Adolf Hitler (né en Autriche) et le Parti Nazi, préconisaient haut et fort. L'autre partie de la double monarchie, la Hongrie, devint un État indépendant. De par le traité du Trianon (4 juin 1920), elle cédait la Transylvanie à la Roumanie, la Slovaquie et la Ruthénie subcarpatique à la nouvelle Tchécoslovaquie, et d'autres terres à la future Yougoslavie. L'Empire ottoman signa le Traité de Sèvres le 10 août 1920, mettant ainsi fin aux hostilités avec les puissances alliées. Peu après cependant, une guerre d'indépendance turque commença, et donna naissance à la nouvelle République de Turquie. Le traité de Lausanne, en 1923, remplaça celui de Sèvres, divisant de fait le vieil Empire ottoman.

Les « quatorze points de Wilson »

Environ 10 mois avant la guerre, en janvier 1918, le président américain Woodrow Wilson avait rédigé une liste de buts de guerre qu'il avait appelée « Les quatorze points ». Huit de ces points traitaient spécifiquement de décisions territoriales et politiques associées à la victoire des puissances de l'Entente et prenaient en compte l'idée d'autodétermination nationale pour les peuples d'Europe. Les autres principes du texte concernaient la prévention d'autres guerres, avec, au dernier point, une proposition de Société des Nations, arbitre des conflits internationaux. Wilson voyait dans cette proposition une paix juste et durable : une « paix sans victoire ».

Quand les Allemands signèrent l'armistice dans la forêt de Compiègne le 11 novembre 1918, ils étaient nombreux à penser que les Quatorze points formeraient la base d'un futur traité de paix. Cependant, lorsque les chefs d'État des « quatre grands » (États-Unis, Grande-Bretagne, France et Italie) se réunirent à Paris pour en discuter les termes, ils rejetèrent cette approche.

Le traité de Versailles

Considérant l'Allemagne comme le principal instigateur du conflit, les puissances alliées européennes décidèrent d'imposer des obligations rigoureuses au vaincu. Le traité de Versailles, que l'on demanda aux Allemands de signer le 7 mai 1919, forçait l'Allemagne à céder les territoires de Belgique (Eupen et Malmedy), de Tchécoslovaquie (district de Hultschin) et de Pologne (Posnanie ou Posen, en allemand, Prusse occidentale et Haute-Silésie). L'Alsace et la Lorraine, annexées en 1871 après la guerre franco-prussienne, étaient rétrocédées à la France. Toutes les colonies d'outre-mer devenaient des mandats de la Société des Nations, et la ville de Danzig (actuel Gdansk), à la population largement allemande, prenait le statut de Ville Libre. Le traité exigeait la démilitarisation et l'occupation de la Rhénanie, ainsi qu'un statut spécial pour la Sarre, placée sous contrôle français. L'avenir du Schleswig du Nord, à la frontière entre le Danemark et l'Allemagne, et de la Haute-Silésie, à la frontière de la Pologne, fut décidé par plébiscite.

Mais la partie du traité la plus humiliante fut peut-être l'Article 231, souvent appelé « clause de culpabilité de guerre », qui forçait la nation allemande à se considérer comme unique responsable de la Première Guerre mondiale. Elle était alors tenue de verser des dommages et pertes, et Georges Clemenceau, Premier ministre français, insista pour que de lourdes réparations soient exigées. Il savait que le pays aurait des difficultés à payer ses dettes, mais il craignait un prompt rétablissement allemand suivi d'une nouvelle déclaration de guerre à la France. Son but était donc de réduire par le traité les possibilités de retrouver une supériorité économique et de se réarmer. L'armée allemande fut limitée à 100 000 hommes et la conscription interdite. Dans la Marine, les navires ne devaient pas dépasser 10 000 tonnes, et le pays ne pouvait pas acquérir ou entretenir une flotte sous-marine.

D'autre part, l'Allemagne n'était plus en mesure de posséder une aviation militaire. Et enfin, elle se voyait contrainte de traduire en justice le Kaiser et d'autres responsables pour avoir livré une guerre d'agression contre l'Europe. Les procès de Leipzig qui suivirent se déroulèrent sans le principal intéressé ni aucun autre dirigeant important et se conclurent essentiellement par des acquittements. Dans l'ensemble, ils furent perçus comme une imposture, même en Allemagne.

Pour le nouveau gouvernement démocratique allemand, le traité de Versailles n'était qu'une « paix dictée », un diktat. Malgré la détermination de la France — qui, des « quatre grands », était le pays à subir le plus de dégâts matériels — à imposer des conditions sévères à l'Allemagne, le traité de paix ne parvint pas à régler les conflits qui avaient généré la Première Guerre mondiale. Au contraire, il freinait plutôt la coopération intereuropéenne et rendait plus difficiles à contrôler les problèmes de fond. Les horribles sacrifices de la guerre et les énormes pertes humaines, de tous les côtés du conflit, pesaient lourdement non seulement sur les perdants, mais aussi sur les vainqueurs, comme l'Italie, dont le butin de guerre semblait sans commune mesure avec le prix terrible payé en sang et en pertes matérielles.

Quant aux populations des puissances vaincues — l'Allemagne, la Hongrie et la Bulgarie —, les traités de paix respectifs leur semblaient une punition bien injuste. Leurs gouvernements, qu'il soit démocratique comme en Allemagne ou en Autriche, ou autoritaire, comme en Hongrie ou en Bulgarie, en vinrent vite à violer les termes militaires et financiers des accords. Les efforts pour revoir ou déjouer les provisions les plus lourdes de la paix passèrent au premier plan des politiques étrangères de ces pays, jusqu'à devenir un facteur déstabilisant au niveau international.

La clause de culpabilité de guerre, avec le paiement des réparations et les restrictions militaires imposées, représentait un prix particulièrement important aux yeux de la plupart des Allemands. Revoir le traité de Versailles fut le thème qui rendit les partis radicaux de droite, dont le parti nazi de Hitler, si crédible auprès de l'électorat de base dans les années 20 et 30. On leur promettait le réarmement, la reconquête des territoires allemands, notamment à l'est, la remilitarisation de la Rhénanie, et une place retrouvée sur le devant de la scène européenne et mondiale. Après une défaite et une paix si humiliantes, ces promesses renforçaient le sentiment ultranationaliste et aidaient l'électeur moyen à fermer les yeux sur les principes plus radicaux de l'idéologie nazie.

Les lourdes réparations, accompagnées d'une période d'inflation en Europe dans les années 1920, donnèrent lieu à une hyperinflation effrénée du Reichsmark en 1923. À partir de 1929 vinrent s'y ajouter les effets de la Grande Dépression, qui ébranlèrent encore plus l'économie allemande. L'épargne personnelle de la classe moyenne partait en fumée, entraînant un chômage considérable. Un tel chaos économique contribua largement à une agitation sociale croissante et à la déstabilisation d'une République de Weimar déjà fragile.

Enfin, les efforts de l'Europe de l'Ouest pour marginaliser l'Allemagne par le biais du traité de Versailles affaiblirent et isolèrent les dirigeants démocratiques allemands. Une conviction grandissante auprès de la population, en lien direct avec les provisions sévères du traité de Versailles, leur était particulièrement nuisible : l'Allemagne aurait reçu « un coup de poignard dans le dos » par les « criminels de novembre » — ceux qui avaient contribué à construire le nouveau gouvernement de Weimar et à négocier une paix que les Allemands avaient tant souhaitée, pour finalement aboutir à un traité de Versailles catastrophique. Beaucoup oubliaient cependant qu'ils avaient applaudi la chute du Kaiser, qu'ils avaient dans un premier temps accueilli à bras ouverts la réforme démocratique parlementaire et qu'ils s'étaient réjouis de l'armistice. Tout ce dont ils se souvenaient était que la gauche allemande — à savoir, dans l'imagination collective, les socialistes, les communistes et les Juifs — avait livré l'honneur allemand à une paix ignoble, alors qu'aucune armée étrangère n'avait foulé leur sol.

Cette Dolchstosslegende (légende du coup de poignard dans le dos) s'ajouta à l'impopularité des socialistes et des cercles libéraux allemands, qui étaient les plus désireux de poursuivre l'expérience d'une démocratie fragile. Les difficultés qu'imposait l'agitation sociale et économique au lendemain de la Première Guerre mondiale, auxquelles venaient s'ajouter les termes pénibles de la paix, se conjuguèrent pour ébranler les solutions démocratiques pluralistes dans l'Allemagne de Weimar ; dès lors, l'envie d'une direction plus autoritaire se faisait plus forte. Finalement, c'est malheureusement ce que les électeurs finirent par trouver en la personne d'Hitler et en son parti national socialiste.

Références de lecture complémentaire

Boemeke, Manfred F., Gerald D. Feldman, et Elisabeth Gläser, éd. The Treaty of Versailles : a Reassessment After 75 Years. Washington, DC : German Historical Institute, 1998.

Henig, Ruth B. Versailles and After, 1919–1933. London : Routledge, 1995.

MacMillan, Margaret. Paris 1919 : Six Months That Changed the World. New York : Random House, 2002.